mardi 21 juillet 2009

Reprise







Kissin, il y a quelques soirs, sur Arte et à Verbier, 2007. Premier concerto de Beethoven dont je saisis le 3ème mouvement. Salonen dirige, vif-argent à son habitude, orchestre décanté, splendidement allant et discipliné. Au clavier, un félin traqué, furioso plus qu’allegro scherzando. Les notes se carambolent. L’accueil est forcément triomphal. Deux bis, deux valses de Chopin, la première douloureusement belle... Mais quel Kissin le public voit-il et entend-il en vérité depuis un quart de siècle ? Ce vieux jeune homme de très bientôt 40 ans (automne 71), observez-le : le grand corps si peu dégourdi qui salue, à la prussienne ; Kissin/Eraserhead, "tête de gomme" droit sortie de chez Lynch... Mais aussi les mêmes petits doigts d’encore enfant, qui fascinent : ceux du bambin qui traversait, le 27 mars 1984, la scène de la grande salle glaciale du Conservatoire de Moscou. Là, l’enfant qui grimpe sur son tabouret a 12 ans. Noué autour du cou, le foulard rouge des Komsomol, les jeunesses ouvrières soviétiques. Dans un peu plus d'une heure, Kissin aura joué les deux concertos de Chopin, l’un, puis l’autre. Naissance d’un mythe, déjà le gamin ne s’appartient plus, dans quelques mois il sera mondial. Mais s’est-il jamais appartenu ? Regardez bien la photo en noir et blanc, au dos du disque... 12 ans... Le sourire est triste, le regard littéralement étrange. Un autre souvenir, bien plus proche, celui-ci : à l’automne dernier, dans le lounge du sinistre hôtel Napoléon où le pianiste a ses habitudes parisiennes. J*** et moi avons rendez-vous avec Kissin pour la sortie de ses concertos de Beethoven, justement. Lequel de nous trois est-il le plus intimidé, impressionné ? A la toute fin, ce poème d’Anna Akhmatova, La musique, que le Russe accepte de nous dire, au micro : et là, presque mieux qu'au piano encore, le verbe se fait éloquent, vibrant, troublant, bouleversant. Un ange passe... Kissin est un autre.

Faut-il bordelais pour être à ce point cruel ? Dans Libération du jour, lire Jean-Marie Laclavetine. "Partie de crapette" entre le ministre Besson et Laclavetine alias "Sarkozy le cruel". "Le baiser de la mante, le meurtre en direct, regardez bien ce que je fais à mon meilleur ennemi, regardez bien comme je suce ce qui lui reste de moelle (…). Il est comme moi. En beaucoup moins bien. Carrément pitoyable. Ce que j’aurais pu être, si je n’avais pas pris ma destinée en mains. Il a même tenté l’ENA, c’est dire s’il est con, et par-dessus le marché il s’est vautré. Sort cruel des perdants. Aux yeux du monde, il se dissout en moi comme dans un acide. J’adore".

Des souvenirs… Sur ma table de chevet, un vieil exemplaire du Monde de la Musique. Octobre 1995. En couverture, Roberto Alagna, "le ténor de l’an 2000". J’y reviendrai. Et Frédéric Mitterrand qui filme l’opéra de Puccini… "Madame Butterfly, c’est moi !", déclare notre désormais ministre de la Culture. Un soupçon à peine avoué de cette Mauvaise vie qu’il dévoilera bien plus tard dans son beau livre au noir…

De la mauvaise vie… Fin de soirée avec Alex (ou Mickaël, d’ailleurs ?). Notre deuxième rencontre, la première avait été furtive. Très joli gars, superbement planté, le teint hâlé, l’accent et la décontraction du Sud. Aix-en-Provence. Délié et rusé, un drôle de Narcisse avec ce juste ce qu’il faut de pas encore tout à fait dégrossi, quoi que… "Une explosion !" s’exclame-t-il dans un sourire éclatant et carnassier.

vendredi 2 janvier 2009

Des moeurs et des honneurs

Hier, la République honorait ses artistes, parmi les heureux futurs récipiendaires de la Légion d’Honneur, promotion du Nouvel An, on notera quelques noms assez peu contestables : John Galliano, le créateur britannique de la maison Dior, élevé au rang de Chevalier, la danseuse étoile Sylvie Guillem, Jean-Marie Gustave Le Clézio, fraîchement nobélisé, Isabelle Huppert… je ne sais pas pourquoi les choses se gâtent franchement au chapitre musique, Chevalier de la légion d’Honneur Laurent Petitgirard, comme compositeur officiel du régime disons que c’est assez cheap mais ça passe encore... mais alors Didier Barbelivien, sinon d’être l’ami intime du Président on ne voit guère l’once du début de la moindre raison de lui épingler la rosette au revers de la veste. Vous me direz que d’être l’ami des puissants est une raison suffisante en soi, et au fond vous n’aurez pas tort : 2009-1789, de ce point de vue-là, strictement rien de nouveau sous les ors de la République, jadis ceux de nos monarques.

Alors on se dit que les belles âmes auront eu beau jeu de ricaner de ce pauvre prince de Bourbon, Charles-Emmanuel de son petit nom, choqué, scandalisé, de l’exposition Jeff Koons qui remplit allègrement depuis quelques semaines les tiroirs caisses du château de Versailles. Scandale, pornographie, atteinte aux libertés fondamentales, rien moins que cela, selon ce descendant de Louis XIV qui s’est vu néanmoins débouté la semaine dernière par la justice française. L’exposition Jeff Koons se prolonge jusqu’à dimanche. La majorité présidentielle, par la voix de son nouvel expert es culture, du moins autodésigné comme tel, un certain Frédéric Lefebvre, soulignait « que ce procès pour entraves aux mœurs prêtait plutôt à sourire surtout au regard de ce qui se pratiquait à l’époque du Roi Soleil ». Bien vu, en effet. A quoi il faudrait ajouter néanmoins que favorites et souverains savaient, eux, lutiner - c’est une chose - mais assurément séparer le bon grain de l’ivraie, ceux qui avaient leurs faveurs avaient pour nom Lully, Gluck ou Rameau ; aujourd’hui la Republique honore Didier Barbelivien, ça ne coûte rien à personne, disons que c’est juste comique, tragique, ou pathétique, c’est selon…
(France Musique, 2 janvier 2009)

jeudi 1 janvier 2009



Meilleurs Voeux 2009 !

"L'expression la plus sincère..."

1er janvier 1900. Lettre de Claude Debussy à son éditeur, Georges Hartmann. "Cher Monsieur, Veuillez trouver ici l’expression la plus sincère de mes vœux pour cette nouvelle année. (...) Si je n’avais pas eu peur de l’encombrement de ce jour, nous aurions été vous porter tout cela nous-mêmes. Mais je pense que vous devez avoir par-dessus la tête des manifestations adéquates, si toutefois j’ose employer ce vocable". Fermez les bans, voici des vœux promptement souhaités. S’il fallait tout de même les développer, allons voir ici et là dans la Correspondance de Debussy. Des vœux de bonheur, ou bien "du désir d’être heureux, écrit quelque part le compositeur, mais on ne l’est jamais que par comparaison, et en se limitant, les uns par un certain nombre de millions, les autres par un certain nombre d’enfants, en qui généralement ils se remettent du soin d’augmenter leur gloire. Et je ne sais pas, poursuit Debussy à l’adresse de son correspondant, si vous êtes comme moi un « maniaque du bonheur », c’est-à-dire : de vouloir l’être d’une certaine façon et en employant des moyens tout personnels, ce qui dans beaucoup de cas vous fait traiter ou de canaille ou de triste fou."

Quoi d’autre encore ? "Je vous avoue, écrit Debussy à Paul Dukas, que je ne pense plus, ou presque plus, musicalement, tout en étant profondément persuadé que la musique reste à jamais le plus beau moyen d’expression qui soit. Rien n’est moins émotionnant que la musique, surtout maintenant. Il serait même inutile que la musique fasse penser ! Il suffirait que la musique force les gens à écouter, malgré eux, malgré leurs petits tracas quotidiens et qu’ils soient incapables de formuler n’importe quoi ressemblant à une opinion. Il faudrait que les gens pensent avoir rêvé, un moment, d’un pays chimérique, et par conséquent… introuvable". Des vœux pour la nouvelle année ? "Continuer à vivre dans son rêve, écrit Debussy. Chercher sans lassitude l’Inexprimable, qui est l’Idéal de tout art".
(France Musique, 1er janvier 2009)