mercredi 24 décembre 2008

"Gould nous manque"

C’est Kevin Bazzana qui le rappelle, dans sa
biographie du pianiste canadien, en bon puritain et en bon disciple de Schoenberg qui se respecte, Glenn Gould a toujours considéré Bach comme la source du canon germanique, l’un des premiers défenseurs des valeurs musicales rationnelles modernes. Et si l’art de Bach consiste, selon Schoenberg, « à tout créer à partir d’une seule chose », Bach est aussi le modèle absolu de l’ordre, de la logique, de l’intégrité structurale. Toute sa vie Glenn Gould aura fait sien ce Bach-là, peu de choses dans ses écrits sur l’autre versant de Bach le luthérien, le poète du timbre, l’homme du théâtre en musique. Non, Bach selon Saint Gould est un architecte, « l’artisan du contrepoint », ce sont ses mots, un idéaliste. Ainsi soit Bach, et ainsi Gould, assurément, a-t-il pour longtemps, l’éternité peut-être, façonné ce Bach-là à nos oreilles, en interprète génial mais définitivement toxique. Alors exit Landowska, exit Fischer, exit Casals, tout juste a-t-on fait mine de redécouvrir, il y a quelques années, que dans son combat Gould n’avait pas été tout à fait seul, voire même qu’une certaine Rosalyn Tureck, avant lui, avait fait œuvre de pionnière. On trouvera bien des idées de la pianiste américaine dans le jeu du jeune Gould. Mais à c’est lui, Gould, encore lui et toujours lui que l’on revient. Les tables de la loi. Tenez, écoutez Hélène Grimaud en parler. La jeune femme publie son Bach à elle, dans quelques jours, mais prudente, elle prévient, anticipe toutes velléités critiques : « Bach ou le Grand Castrateur, déclare Grimaud dans Classica. La seule idée de Bach a émasculé de nombreux musiciens. Le respect qu’il impose est tel qu’on ose à peine toucher à sa musique. Mais Gould, lui, eut le courage. J’aime son jusqu’auboutisme, sa manière, en jouant, de ne vivre que pour un crescendo. Qui est capable de cela aujourd’hui ? Gould nous manque. »

(France Musique, 9 octobre 2008) - Photo D.R.

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