mercredi 24 décembre 2008

Un Gai Ecclésiaste

De son propre aveu, le pianiste Andrei Vieru a beaucoup lu et beaucoup fréquenté Cioran. Il en fut le lecteur passionné, "son talent, sa virtuosité m’y avaient forcé, écrit le musicien dans ce recueil d’essais intitulé Le Gai Ecclésiaste (Seuil). Cioran, à l’instar d’un Mauricio Kagel, ont incarné merveilleusement leur époque : celle du second degré. Ils furent de ces hommes célèbres dont on ne sait s’il faut les fuir ou les soigner, mais sur lesquels chacun se précipite dans l’espoir, vague, de se contaminer un peu..."
Mais dans ces chroniques joyeusement paradoxales, Andrei Vieru, lui, se dévoile davantage comme un libre penseur, d’une écriture sans fioritures et d’un premier degré tonique et réconfortant. Un interprète, fier, mais sans illusion. Et d’ailleurs, pourquoi jouer de la musique ? « Gagner sa vie, écrit Vieru, est sans doute un but honorable, mais jouer une œuvre n’a de sens que si l’on en propose une lecture qui rende caduques toutes les autres, passées et surtout futures » Mais les temps, en musique comme en toutes choses, sont davantage à l’autobiographie, sinon à l’autofiction. C’est l’époque du « culte du personnage dépositaire narcissique de sa singularité », je cite Vieru, voir les Horowitz et Argerich qui ne nous épargnent rien de leurs humeurs et de leurs angoisses, là où un Miles Davis a toujours mis sa biographie entre parenthèses. Itou d’ailleurs pour un Michelangeli, "l’un des plus grands interprètes de tous les temps", écrit Andreï Vieru. Vouloir conquérir le monde sans se corrompre, plaire sans en afficher le souci… Etre ou ne pas être sincère, la question n’a de sens que si l’on entend se livrer…

(France Musique, 18 décembre 2008)

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