mercredi 24 décembre 2008

Rappel à l'ordre de l'amour

L’intrépide est celui qui ne craint pas le danger, l’audacieux, le brave, le hardi, et c’est Hervé Guibert, lui-même, avant de disparaître, qui avait envisagé que ses articles parus dans Le Monde, entre 1977 et 1985, fussent recueillis sous ce titre-là. Ils paraissent aujourd’hui chez Gallimard, Articles intrépides d’un jeune homme qui a 22 ans seulement lorsqu’il commence de signer. Tous ceux qui comptent dans la vie artistique de l’époque, vous les croiserez au fil des pages, sans exclusive. Boulez et Chéreau à Bayreuth, Gilles Deleuze et Adjani, Godard et Bernard-Marie Koltès, Balthus et Robert Bresson…
A sa façon, Hervé Guibert fait ses Mythologies barthésiennes, le journaliste, l’écrivain a le sens de l’icône mais le regard tendrement dérisoire qui va avec. 11 avril 79, Guibert visite une exposition Callas au musée Carnavalet, à Paris, « la seule ville du monde, note-t-il, qui n’a pas invité la Callas durant ses heures de gloire. Mais c’est là qu’elle meurt, dans son appartement du 36 avenue Georges Mandel, où elle vit avec un couple de domestiques italiens, et ses deux caniches nains, gris et blanc, Pixie et Djedda ». Qui d’autre que Guibert pour noter cela, qui d’autre que lui pour aller voir Dalida, dans ce petit château du 18ème arrondissement "où tout se finit en « –a », le nom de la bonne, Andréa, celui du carlin, Pacha", enfin Dalida, qui lui dira du Brecht dans le texte, « Oubliez tout ce que je vous ai dit, soyez le personnage ». Des mythes, donc, les icônes du temps, Boulez et Chéreau à Bayreuth, mais dans la cantine souterraine du Festspielhaus, les Walkyries qui poussent leurs plateaux. Le portrait sensible de Monsieur Vervliet, le perruquier de l’Opéra de Lille, le petit homme terne et fatigué au milieu des chignons Traviata et des scalps de Madame Butterfly. Un spectacle de Pina Bauch au théâtre de la Ville, en 1982. « C’est le rappel à l’ordre de l’amour » écrit Hervé Guibert. « Une note vibrante, sur la seule musique d’un violoncelle. La mémoire conservera peu de choses de ce spectacle sinon la certitude de quelque chose de capital, quelque chose qu’on doit se dire, et qui là est dit, une fois pour toutes, mieux que jamais, et si raidement, si purement, qu’on en tremble, qu’on en a la parole coupée, et qu’on sort le cœur blessé et pansé, baigné d’un effluve de larmes ».


(France Musique, 5 décembre 2008) - Photo : La machine à écrire (Hervé Guibert, 1982) D.R.

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