mercredi 24 décembre 2008

Intimité musicale

La musique est la langue des émotions, ça va sans dire mais ça va mieux en le disant et surtout lorsque c’est Emmanuel Kant qui le dit. Et pourtant, les choses seraient trop simples. Car depuis quelques décennies, la science se découvre des vertus mélomanes, voir le dernier numéro de la très sérieuse revue Pour la science. C’est un numéro spécial, 70 pages où l’on verra que bien après que Pythagore eut exploré les relations entre la musique et les mathématiques, les instruments classiques livrent aujourd’hui aux physiciens des secrets sur leur fonctionnement intime. Vous saurez donc tout, absolument tout, y compris comment exciter au maximum la corde d’une harpe par la pulpe du doigt, tout sur l’optimisation de la perce par algorithmes génétiques, tout sur le rythme des anches, tout encore, sur l’ouverture de la valve oscillante, la longueur du tube, la raideur de l’anche, toujours elle, - l’ouverture au repos, très important la question de l’ouverture au repos, qui détermine le coefficient de perte dans l’instrument.

Vous en redemandez !! Il faudrait que je vous parle des pertes viscothermiques, de la convolution et des séries de Vito Volterra, 1860-1940. Enfin, imaginez-vous confortablement installés dans une salle. Le concert n’a pas encore commencé, vous entendez l’orchestre s’accorder, hautbois, violon, contrebasse… Et puis tout à coup, les premières mesures résonnent, et là miracle, la collection disparate des sources sonores se transforme en un orchestre homogène. Eh bien la prochaine fois vous ne direz pas merci au chef mais à tout ce qui se passe dans votre petite tête bien pleine, actions conjuguées du noyau cochléaire, du complexe olivaire, du noyau du lemniscus latéral, du colliculus inférieur et du corps genouillé médian du thalamus. Tout cela a l’air un peu cochon mais c’est bel et bien comme cela, pourtant, que l’on entend la musique. J’aurais encore voulu vous parler des vertus de la bouche artificielle pour mieux comprendre le génie de Miles Davis ou de Maurice André, eh oui, mais l’art étant de dire beaucoup avec peu, eh bien laissons faire les artistes, car si j’ose dire, c’est encore eux qui en parlent le mieux...

(France Musique, 24 octobre 2008)

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