mercredi 24 décembre 2008

Schütz, Bach, Luther et l'Europe

A quelques semaines de la prochaine folle journée nantaise, il faudra lire l’essai érudit et formidablement éclairant de Gilles Cantagrel, De Schütz à Bach, la musique du Baroque en Allemagne, le livre vient de paraître chez Fayard/Mirare. Où l’on comprendra, en vérité, tout ce qui nous sépare de nos voisins allemands, ce qui pourrait nous rendre certainement un peu jaloux d’eux, aussi. "Une société, écrit Gilles Cantagrel, où la musique est si essentielle qu’elle est devenue, en un demi-millénaire, métaphysique et nourriture indispensable". "Il me semble que je perdrais beaucoup s’il me manquait le peu que je sais de musique" avouait Luther en son temps, et il ajoutait ceci : "Quiconque n’aime ni les femmes, ni le vin, ni le chant, celui-là est un fou, et le sera sa vie durant". Nietszche ne dira pas mieux, sinon plus stupéfiant, quelques siècles plus tard, "sans la musique, la vie serait une erreur". Aventure singulière, donc, que cet essor de la musique dans l’Allemagne luthérienne. Mais c’est que cette histoire ne fut pas seule affaire nationale, mais une vraie entreprise européenne, et c’est bien là l’une des vertus cardinales de cet essai de Gilles Cantagrel. Traité de musicologie, traité d’histoire, mais à sa façon un plaidoyer militant et politique. "S’il est vrai que l’Allemagne de Luther fut terre de mines et de forêts, s’il est vrai que les maîtres allemands ont révolutionné le monde par le dedans, il est tout aussi vrai qu’un Schütz contracta le virus baroque à Venise", écrit l’essayiste. Un Telemann savait dire sa fascination pour l’authentique et la barbare beauté de la musique polonaise. Quant à Bach, inutile de souligner sa boulimie de connaissances et sa culture encyclopédique. "Aussi loin qu’on est allé dans la musique, notait un observateur de l’époque, aussi loin y-a-t-on trouvé des Allemands." Mais avec eux, l’édification d’une Europe musicale.
(France Musique, 17 décembre 2008)

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