mercredi 24 décembre 2008

D'un contemporain capital

A part quelques happy few, et quelques amoureux de son verbe singulier, plus personne aujourd’hui ne lit Paul Valéry, La Soirée avec Monsieur Teste, La Jeune Parque, bien sûr, et plus encore ses Cahiers. Non seulement faudrait-il le relire, mais, dans le même temps, lire sa biographie, tant le parcours privé éclaire l’œuvre, et tant il fut, aussi, l’expression n’est pas de moi, le « contemporain capital » du 20ème siècle. Michel Jarrety a consacré cette année plus de 1000 pages à Paul Valéry (chez Fayard). Et s’il ne fallait parler que musique, il en est des pages entières. Wagner, bien sûr. Le choc initial, fondateur, le jeune Valéry savait à peu près son solfège pour pianoter d’un doigt un peu de Tannhaüser, de Tristan mais surtout de Lohengrin. « Cette musique m’amènera, écrivit un jour Valéry à André Gide, à ne plus écrire ». Tous les grands musiciens de son temps, Valéry les croisa, les côtoya, travailla avec eux. Debussy, Fauré, Vincent d’Indy, Stravinsky, la création du Sacre du Printemps... « Combien je me suis ennuyé au Sacre, confiera plus tard le poète. Mais comme j’ai joui, ce soir-là, de voir X qui pleurait, Y qui se tordait les poings d’une fureur que j’espérais fausse, Z qui injuriait une loge. Je ne m’ennuyais que dans les applaudissements beuglés par la musique de Stravinsky tout seul. Mais j’applaudissais aux moments qu’il fallait, par peur de la solitude… et puis par bonne volonté ». Il y a ce Nijinsky, « l’étonnant et équivoque Nijinski, dans son justaucorps bleu de nuit en velours, ses cuisses énormes, gantées de blanc de craie, son sourire, sa perruque d’or, Nijinski qui saute, bondit avec ses doigts claquants, comme sur une éternelle musique intérieure ». Tout ce beau monde qui se retrouve chez Nadia Boulanger, ces soirées on l’on discute longuement sur le rythme, « dans la presque nuit ». Ravel, un temps son voisin, à Londres... « Ravel siffle en se rasant dans la chambre à côté, note Paul Valéry. Compose-t-il ? » Valéry et son éternelle interrogation, à quoi bon continuer d’écrire… « Je songe que ce que nous avons tant de peine, poètes, à balbutier, un accord de musique l’épuise »…

(France Musique, 15 décembre 2008)

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