mercredi 24 décembre 2008

Pas de scandale


A peine deux ou trois sifflets pour accueillir avant-hier soir le Don Carlo qui ouvrait la nouvelle saison de la Scala, décidément Milan et ses « loggionisti », ceux du poulailler, ne sont plus ce qu’ils étaient - au moins lorsque Roberto allait y pousser le contre-ut, y-avait-il un tout petit plus de sport. Mais maintenant que le surintendant Lissner vire les ténors avant même qu’ils aient passé l’épreuve de la première, avouez que cela n’est pas drôle du tout.
(Presque) plus de scandale à la Scala, on se consolera donc en lisant l’ouvrage, qui vient de paraître de Hélios Azoulay Scandales ! Scandales ! Scandales ! Histoires de chefs d’œuvres que l’on siffle. Et de la volupté d’être sifflé… Rappelez-vous Cyrano, acte 2 scène 8, « Eh bien ! oui, c’est mon vice. Déplaire est mon plaisir. J’aime qu’on me haïsse ».
Alors, histoires de scandales, d’imbéciles effroyables, de cabales sordides, de coups de feu et de banquettes qui volent, ce livre est absolument délicieux et rappelle quelques grandes heures. Et bien sûr, l’affaire du Sacre, que l’on cite souvent, mais la connaît-on dans les détails ? « La crasse du tympan », comme l’avait dit Marcel Duchamp. 29 mai 1913, le Théâtre des Champs Elysées ouvre, flambant neuf. Jean Cocteau, qui décrit le public de cette soirée historique a du boulot, la salle est bondée. « Public mondain, décolleté, harnaché de perles, d’aigrettes, de plumes d’autruche. Côte à côte avec les fracs et les tulles. Mille nuances de snobismes, sur-snobismes, contre-snobismes, nécessitant à eux seuls un chapitre ». Vous me direz que les choses n’ont guère changé côté salle. Sauf que ce soir-là les élégantes cracheront au visage des partisans de Stravinsky, les hommes se battront, se demanderont réparation. Nijinsky (photo, D.R.) dans la coulisse, le visage aussi blanc que sa chemise. Pierre Monteux, dans la fosse, fut imperturbable, ou presque. La beauté en état de choc. « Nous étions excités, furieux, dégoûtés et… heureux », commentera le compositeur. Ce soir, 9 décembre 2008, l’Opéra Bastille reprend Le Sacre du Printemps, chorégraphie de Béjart. Mais il y a fort à parier, hélas, qu’il n’y aura pas de scandale…

(France Musique, 9 décembre 2008)

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